The Perfect Project

010 - Journal d’une mère de P.E.01



J’espère de tout mon cœur que P2 a réussi à limiter les dégâts de cette explosion. Je ne m’y connais pas autant que mon mari, Kertel. Mais d’après lui, ça a dû être une épreuve terrible pour eux. Les pauvres, ils pensaient monter au paradis et ils se retrouvent en face d’une descente aux enfers. Krystal aurait pu être ce paradis tant souhaité. Depuis notre arrivée à bord du P.E.01 sur cette planète accueillante les choses n’ont fait que dégénérer. Encore une fois par la faute de l’homme. « La Confrérie des Dragons Blancs » qui avait opté pour un silence radio, venait de se réveiller, assoiffée de pouvoir et d’argent. Quel pouvoir ? Et Quel Argent ? Nous n’avions même pas eu le temps d’instaurer un système monétaire. Nous subvenions à nos besoins primaires grâce à un ingénieux système de troc des marchandises. Tout le monde y avait pour son compte. Le matérialisme à l’heure actuelle ne pouvait plus exister.

Pendant près de six années, tout se déroulait à merveilles. P1 s’était posé sur cette terre d’asile accueillante. Les premières bâtisses émergeaient de la terre encore vierge. Les trois premières années furent consacrées à l’infrastructure, ainsi qu’à un système de routes en terre. Notre premier réflexe a été de sortir les bulldozers pour faire des routes bétonnées et d’énormes chantiers. Puis d’un commun accord, nous nous sommes mis à rigoler à l’unisson. Nous avions alors décider de ranger tout notre attirail de déblaiement et de destruction pour nous arranger avec la nature. Nous la protégerions et la servirions de notre mieux.

Il est tellement plus agréable de marcher sur une route pavée de pierre naturelle et d’emprunter des petits chemins de terre en lisière de foret. La ville, si on peut parler de ville, fut bâtit au milieu d’une petite rivière qui se séparait en plusieurs ruisseaux. Des petits ponts de bois rougeâtre les enjambées et les routes bordant les rivières étaient sertit de fleurs diverses.

En trois années de travail acharné, le repos vint enfin. Mon mari eut la bonne idée d’installer un petit parc pour les plus jeunes et quelques bancs orientés vers la ville qui grandissait lentement au rythme des fantasmes de chacun. Le petit parc était construit sur une légère colline qui surplombait la ville et les vallées avoisinantes. Tout le monde y trouvait son bonheur, même les plus fervents des matérialistes avaient dû se résigner et apprécier les joies d’une vie simple.

« On dirait un village du Moyen-âge, comme tu me l'as raconté maman ! » Ma petite fille de 7 ans, Cassandra appelée Cassie, me faisait la remarque plusieurs fois par semaine. Pour être précise, elle me le rappelait à chaque fois que nous venions jouer dans ce parc. Je la laissais souvent dévaler ces toboggans en tire-bouchon dont elle raffolait. Je regardais la ville à mon tour, le cœur gonflé par le chagrin. Je ne pouvais m’empêcher de venir ici, une fois par semaine regarder la ville depuis cette aire de repos, le cœur gonflé. Mon fils ne verra jamais ce lieu paradisiaque. Une larme s’échappa sur ma joue, une larme mêlée de tristesse et de nostalgie. Il s’appelait Florien et n’avait que dix ans lors de cet effroyable accident. Un des réacteurs de la centrale venait de lâcher emportant tout sur son passage sur un rayon de 3 kilomètres. Mon mari était sur le chemin pour aller le chercher, lorsqu’il fut stoppé par l’armée qui avait mis le secteur en quarantaine. Nous devions embarquer le lendemain sur P1.

Je fais encore ce cauchemar où je revois Flo dans une des tentes de l’armée. Un corps inerte et sans vie, il avait le bras gauche complètement brûlé. J’était complètement détruite intérieurement et je me rappelle avoir insulté plusieurs fois mon mari qui continuait comme si de rien n’était. Aujourd’hui je le comprends mieux. Même s’il s’agissait de notre cher fils, mon mari était alors à la tête du Project Espoir 01 et ne pouvait se permettre un tel écart de conduite. P.E.01 décolla le lendemain du drame, avec à son bord les rêves et espoirs de plus de 25 000 personnes.

Les premières semaines à bord furent très difficiles, je ne pouvais presque rien avaler et me sentait toujours très mal d’avoir abandonné le corps de mon fils sans lui avoir offert de funérailles, peut être que mon cœur serait plus léger aujourd’hui. J’étais morte intérieurement, la perte d’un enfant est une chose contre-nature. Ce sont les parents qui doivent partir avant leurs enfants et non l’inverse. Le goût de la vie m'est revenu lorsque j’appris être enceinte de ma fille Cassie. Comme une seconde chance, une nouvelle vie commença. Le passé était loin derrière et je me devais de penser à ma fille à présent. Mais au fond de moi, subsistait le doux visage de mon fils qui me manquait tant. Je n’ai jamais pu faire son deuil malgré les joies que me procure ma fille et mon entourage.

Ma fille, Petite tête blonde, haute comme trois pommes. Elle me dévisage de ses grands yeux d’agate, ne comprenant pas ma soudaine tristesse. De l’extérieur de la main, j’essuyais la larme qui avait prit position sur ma joue et lui fit un doux sourire. « Qu’est-ce que t'as maman ? » me demanda-t-elle de sa petite voix espiègle. Je n’ai rien, ne t’inquiète pas, juste un souvenir de notre ancien monde qui me manque tellement. Je n’osais pas lui parler de son frère décédé et puis cela ne servirait a rien. Elle est encore trop jeune et innocente pour comprendre. De plus cela ne ferait qu’ameuter des dizaines et des dizaines de questions de sa part. Déjà que j’ai du mal à m’en sortir avec cette armée de questions que tous les jeunes de son âge posent à tout va. « Et pourquoi le ciel est bleu ? », « Et pourquoi l’eau se glace quand il fait froid ?» « Et pourquoi il pleut ?». C’est à la fois amusant et agaçant. Mais comment ne pas prendre le temps de répondre devant cette petite moue si attendrissante.

Ma petite Cassie venait de fêter son septième printemps hier soir. D’un commun accord avec Kertel, nous nous sommes mis ensemble pour lui offrir des boucles d’oreilles. Deux petits anneaux dorés sertis d’un diamant d’un bleu écarlate où était gravé le blason de la famille. Une gravure très fine, bien que visible à l’œil nu. Mais qui avait une particularité intéressante. Si l’on plaçait le diamant devant une source de lumière, alors le blason se retrouvait projeté en face par un astucieux jeu d’absorption de lumière. Ainsi la gravure de quelques centimètres pouvait s’étirer pour couvrir une surface d’une vingtaine de centimètres.

Une coutume assez étrange qui provient de mon mari, héritier d’une famille très noble où les descendants directs devaient porter en permanence une boucle d’oreille ou deux. Une pour les descendants masculins et deux pour les descendants féminins. Je me demande si ce n’est pas un peu jeune pour porter des boucles d’oreille. Ce que je sais en revanche, c’est que Cassandra ne parle plus que de maquillage.

Une petite brise me caressait le visage. J’étais en paix avec moi-même. Court moment de bonheur ou je zappais tout les problèmes. Ma fille venait juste de s’asseoir sur la balançoire, lorsque je me suis relevée, pressentant quelque chose. Le timide gazouillis des oiseaux avait disparu et une étrange bise lugubre faisait valser les arbres aux alentours. N’écoutant que mon instinct, je demandais à Cassie de venir auprès de moi. Plus le temps passait et plus cette impression bizarre m’étouffait. Je scrutais le moindre recoin ou buisson à la recherche de n’importe quoi. Par sécurité je pris ma fille dans mes bras, lui prodiguant un « Ne t’inquiète pas ma puce, tout ira bien… »

Tout ira bien, tout ira bien… C’est vite dit. Elle a dû sentir ma voix dérailler malgré mes nombreux efforts pour ne pas l’inquiéter. Puis vu la façon dont je la serrais dans mes bras, elle avait très bien compris que quelque chose clochait. J’essayait tant bien que mal de contrôler ma respiration en respirant par le nez, mais mon cœur s’affolait de plus en plus. Je n’arrêtais pas de me retourner brusquement par des mouvements nerveux, scrutant absolument tous les recoins du paysage. Ma fille essayait de me parler, mais plus personne ne pouvait m’atteindre, j’étais dans un cas de tension extrême. J’entendais sa voix qui me paraissait tellement lointaine. D’un geste machinal, je lui caressais les cheveux tout en essayant de lui coucher sa tête contre mon épaule, comme si je voulais la faire dormir pour qu'elle ne soit pas éveillée et qu'elle ne voit pas ce qui allait se passer.

Je les sens… Je les entends… Je sais qu’ils sont là… Mais je ne les vois pas. Mon dieu protégez ma fille, j’ai déjà perdu un enfant, ne me retirez pas celui-ci également. Je ne peut rien faire contre eux, s’il vous plait, mon dieu, faites quelque chose pour moi et ma fille… Je vous le supplie à genou.

De grosses larmes se mirent à couler le long de mon visage crispé par la peur. Je ne savais pas quoi faire, la ville était trop loin pour tenter de m’y réfugier, même en courant de toutes mes forces. Je ne pourrais qu’atteindre la moitié du chemin. Pourquoi s’acharne-t-il comme ça ?

J’entendais les feuilles craquer au loin. Ca y est, ils arrivent. Mon cœur s’accéléra davantage, et je perdis le contrôle de ma respiration. Haletant à grands coups, je commençais à faire peur à ma propre fille qui ne comprenait toujours pas ce qui se passait.

Je ne les vois toujours pas, mais je les entends approcher, je les sens aux plus profond de mon âme, Je suis prise de tremblements effrénés à la vue du premier d’entre eux qui se matérialise entre deux arbres épais. Mon dieux, ce sont eux, je vous en prie, protégez ma fille !

Que dois-je faire ? M’enfuir ? Je ne pourrai jamais courir assez vite. Il se tenait en face de moi, à une dizaine de mètres. Sa robe noire était si sombre qu’elle se confondait avec les ombres projetées par les arbres. Le vent se mit à souffler brusquement faisant valser les branches dans tous les sens. La seule chose que je distinguais était ses deux globes oculaires d’un jaune pétillant. Le reste de son corps semblait apparaître et disparaître telle une fumée obscure chassée par le vent. Cette chose diabolique au corps informe se tenait devant moi et je ne pouvais pratiquement plus respirer, tétanisée par la peur.

Ce qui me faisait face et qui m’enlevait tout espoir de survie était une bête sauvage sanguinaire appartenant à la tribu des Chevaliers Hurlants. La tribu des Chevaliers Hurlants est considérée comme étant le sommet de l’échelle alimentaire de cette planète. Des monstres hors normes, qui vivent en communauté et répondent à une hiérarchie et à un code très complexe. Ils tuent pour le plaisir de tuer et non pour se nourrir, mais heureusement pour nous, les Chevaliers Hurlants sont sédentarisés et ne se déplacent que très rarement. Des limites très précises sont établies par leur chef et aucun membre de la tribu n’a le droit de dépasser cette limite sous peine de mort violente. Les frontières de leur territoire sont gardées en permanence jour et nuit par les « Night Yell », sorte de grand félin s’approchant de la panthère noire.

En sept années, il n’y a eu que très peu de cas d’altercations entre nous et leur tribu. Nous avons veillé avec le plus grand soin à respecter les limites de leur tribu, et ils ont fait de même. Tant que nous n’empiétons pas sur leur territoire, tout se passe bien. Même si leurs cris aigus qui déchirent la nuit nourrissent nos pires cauchemars, nous avons appris peu à peu à vivre avec.

D’après une analyse loin d’être fiable, la tribu serait composée d’environ 150 individus et la plus grande peur est de se retrouver face à un « Nightmare ». Surnommés ainsi à cause de leurs cris cauchemardesques et insupportables, mais également à cause de leur apparence qui est démoniaque.

Une sorte de grand taureau d’un mètre 70 au garrot, pourvu de deux énormes cornes élancées vers l’avant provenant de la base supérieure de leur cou. Une robe sombre, très sombre, qui nous donne cette impression de pouvoir se fondre avec l’ombre qui l’entoure et ainsi par un jeu d’illusions d'optique lui permet de moduler sa forme comme bon lui semble. Sa taille peut ainsi doubler mais également devenir informe, voir totalement disparaître. Seuls restent visible ces deux grands globes oculaires qui vous fixent avec une seule envie…vous tuer.

Je voyais ses yeux très distinctement, il était prêt à me bondir dessus avec ces énormes griffes qui pouvaient découper en rondelles les arbres les plus massifs de la forêt. Il fit quelques pas de plus vers moi sortant ainsi de l’obscurité pour se mettre à la lumière du soleil. À chacun de ses grognements sourds, le sol semblait trembler. Sans me quitter du regard il abaissa sa tête en écartant ses pattes de devant. Je vis ses griffes pénétrer les dalles bétonnées du jardin comme s’il s’agissait d’un vulgaire papier mâché.

Je n’avais jamais eu l’occasion d’en voir un de si près, je distingue à présent l’énorme masse musculaire de ce monstre et comprends maintenant pourquoi nous avions retrouvé des arbres de plusieurs mètres de diamètres en lambeaux. Mais il y avait encore plus effrayant. Lorsqu’il ouvrit sa gueule, il laissa apparaître deux grandes canines rétractables qui devaient approximativement faire dans les 20 centimètres. Je distinguais également des coulées de salive qui ruisselaient le long de ces canines meurtrières.

Heureusement que ma fille était de dos, pour rien au monde je ne voudrais qu'elle voit ce spectacle macabre. Ses grognements redoublèrent d’intensité. Il prit encore plus appui sur ses pattes antérieures, sa tête touchait presque le sol.

D’un bras tremblant de peur, je caressais les cheveux de ma fille qui se mit lentement à pleurer. Une fine couche de sang apparu sur mes lèvres, mes dents avaient déchiqueté l’intérieur de ma joue et je saignais abondamment. Ma bouche me faisait atrocement souffrir, mais c’était le seul moyen pour que je ne crie pas et que je garde un tant soit peu mon calme. Je ne pouvais plus le regarder, plus mes yeux s’attardaient sur ce monstre et plus je sentais mon cœur défaillir. Ma tête se mit à tourner et je sentais lentement tous mes sens m’abandonner. Par réflexe, je fermai les yeux pour essayer de ne pas succomber à l’inconscience qui me guettait.

Je ne sais pas si c’est à cause de l’éblouissement du soleil ou de quoi que ce soit d’autre, mais j’apercevais plein d’étoiles qui fourmillaient sur mes paupières. Elles se déplaçaient lentement devant moi et semblaient dessiner une image. Une grosse boule se forma en travers de ma gorge et les larmes se mirent à couler à flot. Fronçant les sourcils et serrant les dents de toutes mes forces, je me retenais de sangloter, mais les larmes coulaient à flot le long de mon visage. Je serrais plus que jamais ma fille dans mes bras. Les yeux fermés j’aperçus mon mari qui me souriait et qui tentait de me rassurer. Cette vision m’enveloppa dans une sorte de bulle qui semblait m’extirper de la réalité. Je n’entendais plus ces grognements immondes, le soleil ne réchauffait plus ma peau et le vent semblait avoir disparu. Mes muscles se relâchèrent peu à peu et je me sentais attirée vers l’arrière.

Un puissant coup de tonnerre vint me tirer de ma torpeur. Ouvrant les yeux aussi sec et cherchant d’où cela pouvait venir, je mis un moment à faire une mise au point correcte. Je le reconnus aussi tôt. Il s’agissait de Lucas, un collègue de mon mari. Le dos bien droit, les bras tendus en face de lui et le regard dans la ligne de mire de son pistolet, il hurla en direction du Nightmare.

- Viens par là salopard !!! Viens jouer avec les grandes personnes !!!

Le coup de feu qu’il avait porté sur le Nightmare semblait n’avoir aucun effet. Toutefois ce dernier pivota dans sa direction et poussa un cri qui sembla fendre mon âme en deux.

- Lu… Lucas… Je n’arrivais même pas à prononcer deux syllabes distinctement.
- Ecoute-moi, je vais tenter de l’attirer sur moi et tu vas courir le plus vite possible jusqu'à la clairière près de l’étang.
- Mais… C’est à plus d’un kilomètre. Je pourrais retourner en…
- La ville est infesté par ces démons, trancha-t-il, Les coups de feu vont les attirer vers moi ! Un équipage de P2 a atterri dans la clairière c’est ta seule chance…
- Et toi ?
- Ne t’inquiète pas pour moi, j’ai un compte à régler avec ces bestioles, ils ont tué ma sœur il y a 1 ans et je tiens personnellement à me venger.

Sa voix était imprégnée de tristesse et de colère. Mais il ne pouvait pas se sacrifier pour me sauver. Je ne pouvais pas accepter que cela se passe ainsi… Je… « COURS !!! » Hurla Lucas de toutes ses forces en commençant à mitrailler le Nightmare. Sans réfléchir je pris mes jambes à mon cou à travers la forêt. Je l’entendais hurler des insultes envers le Nightmare. D’un coup, les tirs cessèrent et un hurlement me saisit d’effroi, tout en courant je regardais en arrière à travers les arbres et aperçut le corps inerte de Lucas empalé sur une des cornes du Nightmare tel un pantin désarticulé. Dans un dernier souffle imperceptible, il me dit de courir aussi vite que possible avant de trépasser dans d'atroces souffrances. Je courrais si vite que je pensais trébucher à tout moment. Lucas avait raison, les tirs avaient attiré tous les membres de la tribu des Chevaliers Hurlants vers lui. J’en aperçus quelques-uns courir dans sa direction. Par une chance incroyable, ils n’avaient pas fait attention à moi. Mon cœur semblait menacer de lâcher à tout moment, mais ma fille me donnait la force de continuer. La clairière n'était plus qu'à une dizaine de mètres, il me semblait apercevoir un vaisseau transporteur ainsi que son équipage. Je ne perdais pas espoir, mais comment une dizaine de personnes pouvaient venir à bout de toute une tribu... C'était ma dernière chance et celle de ma fille.

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